« L'amour plus fort que le cancer »,
portrait de chantal

par elsa mari
illustré par alexandre luu

 

 
 

© Alexandre Luu

 

 

Chantal lutte aujourd’hui contre son troisième cancer du sein. 2002, 2012, 2014, à chaque fois, il faut défier la mort. Malgré la douleur, parfois insoutenable, cette femme sémillante de 57 ans nous parle de ses incroyables moments de bonheur avec son mari, un soutien indéfectible. Elle le martèle, malgré la maladie, il faut accepter la main de l’autre, continuer à se faire belle et rire, prendre toutes les forces possibles. Elle a accepté de lever le voile du tabou. Confidences.

Que vous apporte le soutien de votre mari ?

Quand on apprend qu’on a un cancer, on ne vit que cancer. On se bouffe de l’intérieur. Certains s’enferment, d’autres ressentent une immense colère. Grâce à mon mari, mes enfants et mes amis, je ne me dis plus « je vis le cancer » mais je vis avec. Cette nuance est indispensable. Certes, je suis malade mais ils m’ont donné la force de sortir, sourire, vivre. Je ne suis pas condamnée à souffrir, j’ai aussi le droit à des moments de bonheur.

Comment vous aide-t-il ?

Il me montre sans cesse que la vie est belle. J’ai failli mourir lors de mon deuxième cancer en 2012. Plus on se soigne, grâce aux chimio, et plus on est mal. Quinze jours après ma première séance, il m’a emmenée quelques jours à Agadir alors que ce voyage me semblait impossible. Je me disais, enfin, un vrai projet, autre qu’un rendez-vous à l’hôpital. Une fois au bord de la mer, on marchait dans le sable, main dans la main. J’ai vécu ce moment comme un grand bol d’oxygène. Il faisait bon, j’étais vivante. Mon mari a tout fait, tout le temps pour me permettre de m’évader et me projeter. On arrive aussi à rire de la maladie. Une fois, j’étais tellement en colère à l’idée de perdre mes cheveux que j’ai commencé à me donner des coups de règle sur le corps. J’étais hystérique. Aujourd’hui, quand je ne vais pas bien, il me rappelle cet épisode, ça me détend et on s’en amuse.  

Ces moments sont-ils conciliables avec la fatigue du traitement ?

Pas toujours, bien sûr. Mais il faut se les autoriser. A certains moments, lorsqu’une amie me proposait d’aller au restaurant, j’acceptais toujours mais je savais que je n’arriverais peut-être pas à manger. Une autre fois, à Deauville, je me suis cassée la cheville après une chimio, le traitement fragilise les os. Comme je n’avais pas le droit aux béquilles, je devais me déplacer en fauteuil roulant. Tout s’écroulait. Malgré tout, mon mari m’a emmené déguster un plateau de fruits de mer à Trouville. On devait partir quelques jours plus tard à Bandol. Le médecin a accepté de m’enlever mon plâtre. Sur la plage, je restais sur un matelas à l’ombre et lorsque je voulais me baigner, mes amis et mon mari m’aidaient à clopiner sur un pied. Une fois dans la mer, je me disais : je ne peux pas marcher mais je nage. C’était fabuleux. On avait loué un petit appartement sur le port de Bandol. Je m’y sentais tellement bien. On a pu l’acheter l’an dernier. Dès que j’y retourne, je retrouve ce sentiment de bien-être absolu.  C’est ambivalent, les opérations, les chimios, les brûlures, la perte des cheveux sont des épisodes de grandes douleurs. Mais, à ce moment-là, je me sentais aussi très heureuse.

Quels conseils donneriez-vous à des malades, abattus par l’annonce d’un cancer ?

Je leur dirai : il faut saisir toutes les forces qui s’offrent à nous. J’ai eu la chance d’être sans cesse épaulée par mon mari. Ce n’est pas toujours le cas. Je me souviens d’une autre patiente, Séverine, mère de deux petits. Son époux a préféré accepter une mutation sur une plateforme pétrolière lorsqu’il a appris qu’elle était malade. Elle est décédée, aujourd’hui elle aurait eu 44 ans. Evidemment, être soutenu n’est parfois pas suffisant pour guérir. Mais cela donne une envie indescriptible de se battre. Alors, il ne faut pas hésiter à intégrer des groupes de parole comme je l’ai fait à l’Institut Curie. On fait de la  sophrologie, du yoga, on parle de tout. On rit de notre maladie, on se confie, s’interroge : comment se mettre nu devant notre mari quand notre corps a changé ? On se dit tout.  Il ne faut jamais oublier de penser à soi. Quand on devient blafard, qu’on perd nos sourcils, on a l’impression de faire peur aux autres. Tous les jours, je passais du temps dans la salle de bain, à me maquiller, je me faisais faire des jolies perruques sur mesure. On a besoin de garder ce lien avec la féminité. Mon mari ne m’a jamais regardée autrement même si je dormais avec un bonnet la nuit. Malgré les épreuves, j’ai vu à quel point il m’aimait.